Parenthèse fortuite dans un système bien verrouillé, passage du témoin entre deux générations ou amorce d'une évolution plus profonde, l'avenir nous le dira. En tout cas, pour la première fois depuis plusieurs années, la brise d'un certain renouvellement a soufflé sur les arènes espagnoles et, dans une moindre mesure, françaises : réjouissons nous en, nous qui, en cette même place, déplorions l'an dernier l'asphyxie qui, faute d'imagination, finissait par menacer l'afición.
Non pas que le paysage d'ensemble de la tauromachie contemporaine se soit trouvé d'un seul coup renversé : à peu près le même nombre de corridas de part et d'autre des Pyrénées, malgré les aléas d'une météo souvent capricieuse, toujours le même fossé entre planète torista et planète torerista, une influence toujours aussi manifeste des enjeux médiaticofinanciers sur le déroulement de la fiesta, la dictature des vedettes sur la composition des affiches et le choix des toros, la même incertitude sur la signification même de la tauromachie en ce début du XXIème siècle, et sur les valeurs qu'elle doit incarner. Mais au moins le public atil pu se rendre compte qu'un certain nombre de garçons avaient quelque chose d'intéressant à dire et à montrer, et qu'en sortant enfin des sentiers battus, il pouvait vivre des moments passionnants, et rendre un nouveau souffle à son envie de toros.
D'abord, malheureusement, une série calamiteuse de blessures, qui ont fait de cette temporada une des plus sanglantes des dix dernières années, et qui ont conduit à l'éloignement répété des ruedos de plusieurs grandes figuras très souvent affichées en temps ordinaire.
C'est en tout premier lieu le cas de Joselito, atteint d'une triple fracture du fémur droit le 17 mai à Nîmes, et ainsi privé de toute sa saison, jusqu'à un retour, plus symbolique qu'autre chose, le 11 octobre seulement à Saragosse, seul contre six. Mais c'est aussi le cas d'Enrique Ponce, si rarement touché jusqu'à présent, blessé une première fois à Séville par un toro de Parladé le 16 avril et conduit aux portes de la mort le 23 juin à León par un toro de Zalduendo. Enrique Ponce ne toréera que 56 fois cette saison, contre plus de cent chacune de ces dix dernières années.
Et l'on pourrait ajouter à cette liste, José Tomas, blessé cinq fois, en particulier à Grenade, Badajoz, Huesca, Antonio Ferrera, blessé à Vic en mai et à Valence en juillet, Antonio Barrera, blessé à Eauze, Pampelune et Barcelone, et qui a raté à cause de cela son retour en Europe, El Fandi, Davila Miura et Miguel Abellán blessés à Bilbao. Sans oublier Paco Ojeda et Juan Mora, qui se remettait à peine de sa grave cornada de Jaén l'an dernier, tous deux pris le même 29 juin à Burgos.
Du coup, beaucoup de places se sont trouvées libres en cours de saison, offrant une opportunité unique à des matadors que la programmation initiale avait négligés. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, un seul chiffre : sur les 39 corridas toréées cette année par César Jiménez, qui n'a pris son alternative que le 9 mai, à Nîmes, et qui n'était initialement programmé dans aucune des grandes ferias de l'été, ni en Espagne ni en France, 13, soit le tiers, l'ont été en remplacement soit de Joselito soit d'Enrique Ponce. Bien sûr, les qualités de César Jiménez lui ont permis de transformer l'essai, mais c'est dire, malgré tout, la place laissée libre par les vedettes.
D'autant que, deuxième facteur de changement, aucun de ceux qui, ces dernières années, occupaient le second rang, immédiatement derrière les grandes vedettes, n'a réellement fait parler de lui cette année. Avec 104 corridas, Finito de Córdoba a fait preuve d'une grande maîtrise professionnelle, mais malgré quelques grands succès, il a surtout laissé au public le souvenir d'un grand ennui. Manuel Caballero, en dépit d'un triomphe au Puerto de Santa María et de la bonne impression de son " seul contre six " improvisé de Bayonne, a paru en retrait, ne parvenant pas à acquérir les faveurs du public. Víctor Puerto a passé la saison sans marquer, et son " seul contre six " à la San Miguel de Séville n'inversera vraisemblablement pas la tendance. A la " Goyesca " de Ronda, à la Merced de Barcelone, à la feria d'automne de Madrid enfin, Rivera Ordóñez a paru vouloir revenir au premier plan, mais trop tard pour peser sur le bilan de la saison.
Dans la grisaille, le courageux Miguel Abellán et le fade Eugenio de Mora. Morante que l'on ne sait pas très bien comment classer, qu'à cause de cela, il faut continuer à suivre, mais qui appartient sans doute à la dynastie prestigieuse de ceux qui ne réussissent qu'aux marges du système. Luis Miguel Encabo, qui, après un début de saison très fort, a paru avoir du mal à tenir le rythme. Décevant le sympathique Zotoluco, perdu de vue le trop rapidement encensé Alfonso Romero.
El Juli, en tout premier lieu. A la fin de la saison dernière, son poste de "número uno" fraîchement étrenné à 19 ans pouvait encore être disputé par quelquesuns, et discuté par bien davantage. Au début de la saison encore, certains spéculaient sur les résultats de la confrontation qui semblait se dessiner avec José Tomás, et qui n'a pas eu lieu, en raison de la temporada hachurée par les blessures, et sans grand relief somme toute, du torero de Galapagar.
Aujourd'hui, plus personne ne peut contester la domination écrasante exercée par le jeune madrilène : 112 corridas, 177 oreilles, 6 queues, 59 sorties a hombros, un indulto (toro de Sánchez Arjona à Linares le 28 août), l'exploit de trois corridas consécutives à Bilbao, dont une de Victorino Martín, une faena unanimement considérée comme historique face à "Desván", un toro de Toros de Cortés le 4 octobre à Vista Alegre, le jour de la despedida de Curro Vázquez.
Résultats : une popularité considérable (il finit l'année dixième sur la liste des Espagnols les plus populaires, loin devant le chef du Gouvernement, à quelques places à peine des souverains), et une fortune qui ne l'est certainement pas moins, " Sud-Ouest " avançant à son propos le minimum de 65.000 € de cachet, 150.000 avec les droits de retransmission télévisée. Un autre journal a même parlé d'un cachet de 610.000 € pour les trois corridas télévisées de Bilbao.
Tout cela ne peut que faire peser une très lourde responsabilité sur les épaules d'un jeune homme, si doué et bien entouré soitil, qui vient à peine de célébrer son vingtième anniversaire. Son indiscutable triomphe de cette année est, bien sûr, une réponse éclatante aux questions que nous nous posions l'an dernier sur sa capacité à prendre le tournant de l'âge adulte et à assumer ses responsabilités au plus haut niveau. Il n'en reste pas moins que, seul au sommet, et entouré de garçons qui ne rêvent que de s'asseoir sur son trône, il va devoir, pour durer, s'affirmer et se renouveler. Il en paraît du reste très conscient, et c'est ce que traduit sa décision de ne plus banderiller, et, sous l'influence du Tato, son homme de confiance, de rechercher un nouvel équilibre entre ses qualités techniques et ses capacités d'émotion. C'est au prix de ce renouvellement, de cette capacité à dominer le temps qu'il entrera dans l'histoire de la tauromachie non plus comme une étoile filante, mais comme un grand maître.
Autour de Julián López, donc, un groupe de toreros, dont la percée d'abord, puis les succès ensuite, ont fait les gros titres de l'actualité taurine et ont constitué la grande surprise de cette année 2002.
Et d'abord, parce que le plus en vue, le tandem inattendu composé par Antonio Ferrera et David Fandila "El Fandi". Le premier doit sa carrière à la France, où pendant plusieurs années il a presque exclusivement toréé ; le second, lui, est quasiment inédit de ce côtéci des Pyrénées, et, sur 72 corridas, n'en a toréé qu'une seule dans notre pays, le 30 juin à La Brède, dans une arène portable et face à un lot épouvantable de Sepúlveda. Gageons qu'on le verra davantage l'an prochain.
Venu des tréfonds de l'escalafón, Ferrera progressait beaucoup depuis quelques saisons, affinant son toreo sportif, plus instinctif qu'inspiré. Sa prestation à Vic, le 20 mai, quelques jours à peine après avoir ouvert la Puerta Grande à Madrid, a montré le chemin parcouru, en particulier à la muleta. Ses blessures ne l'ont pas empêché de collectionner les triomphes (75 corridas, 133 oreilles, 13 queues, 3 indultos).
Sportif, El Fandi l'est tout autant, puisque ce fils de Grenade est un ancien champion de ski. Sa grande spécialité, ce sont les banderilles, où il est certainement insurpassable par qui que ce soit en ce moment, mais la liste impressionnante de ses succès, et de ses triomphes montre qu'il est capable de dominer tous les tercios.
Derrière ce tandem de tête, plusieurs toreros sont en embuscade., à commencer par celui qui pourrait bien, s'il continue sur sa lancée, rafler la mise, César Jiménez. C'est un tout jeune torero, qui n'a pris l'alternative que le 9 mai à Nîmes, dix jours après avoir triomphé seul contre six novillos à Madrid. Sa carrière s'est accélérée, comme on l'a dit plus haut, grâce aux remplacements de toreros blessés, et un triomphe à Valence, à la feria de juillet, a décidé du reste : 39 corridas, 72 oreilles, 22 sorties " a hombros ". Un garçon à suivre pour son extraordinaire maturité, sa grande allure, son style très pur.
Mais il faut parler aussi de Fernando Robleño ; il avait fait une temporada en progrès l'an dernier et s'était notamment fait remarquer à Madrid. C'est le remplacement de Ferrera, blessé à Vic, devant la corrida du Conde de la Corte à la San Isidro qui va accélérer l'histoire : de remplacement en remplacement, Robleño va toréer cinq fois à Las Ventas, coupant six oreilles et ouvrant deux fois la Puerta Grande, la seconde fois le 13 octobre face à une corrida de Victorino Martín, dans des conditions d'exposition insensées et après un coup d'épée inoubliable. Alors qu'au 14 juillet il n'avait toréé que neuf fois (la dixième à Céret, dont il est l'un des fidèles, et où il a coupé trois oreilles à une corrida d'Escolar Gil), il finit la saison avec 45 corridas à son actif, autre exemple d'une opportunité bien saisie.
Il faut parler encore de Manuel Jesús Cid, "El Cid" autrement dit, même s'il n'est pas encore parvenu tout à fait au niveau des précédents, en raison notamment de fortunes diverses l'épée en main (ce qui pour un Cid est tout de même un comble). Les deux oreilles coupées à Vic à un toro de Ramón Flores n'étaient pas tout à fait passées inaperçues, mais ce qui l'a définitivement mis sur orbite, c'est, bien sûr, la queue coupée le 1er septembre à Bayonne à un toro de Victorino Martín.
Et puis il faut aussi citer deux garçons à suivre l'an prochain avec attention. Javier Valverde n'a pris l'alternative que le 12 juin, à Salamanque, et n'a toréé que 14 fois, dont trois en France (Mont de Marsan, Bayonne et Floirac) ; il a confirmé l'excellente impression de solidité qu'il avait déjà donnée comme novillero. Quant à José Ignacio Uceda Leal, inconnu ou presque en France, où il n'est pas venu cette année, il a réalisé une temporada importante, notamment à Madrid, et il s'affirme de plus en plus comme un torero classique qui pourrait avoir un rôle à jouer dans les années qui viennent.
Autant dire que la temporada 2003 s'annonce décisive : Enrique Ponce, Joselito, José Tomás s'il est là , auront peut-être du mal à retrouver leur place au soleil, face à ces jeunes loups aux dents longues, peu disposés à leur laisser reprendre leur rang à leur détriment. Ces vétérans vont devoir faire beaucoup d'efforts pour retrouver de la part du public une attention qui s'est déplacée. Certains jeunes risquent de laisser quelques plumes dans la lutte sans merci qui s'annonce. D'autres surprises viendront peut être brouiller à nouveau les cartes, les jeunes promus qui, comme Matias Tejela, Ivan Garcia et Salvador Vega, qui ont dominé la saison des novilladas et qui vont prendre l'alternative dès le tout début de la saison et même dès février, à Nîmes, pour Vega ! peuvent constituer d'intéressantes révélations. A suivre donc.
Au nombre de corridas, le premier torero de notre pays est une fois de plus Jean-Baptiste Jalabert, avec 32 sorties, dont 15 hors de France ; mais une saison très pâle, à l'exception de succès régionaux sans doute inévitables, n'est pas sans inspirer une certaine déception à son égard.
De son côté, Stéphane Fernandez Meca, grâce à un judicieux changement d'apoderado, a réussi une percée en Espagne, au moins au nombre de corridas toréées : s'il a manqué, en raison de sa blessure d'Arles, sa présentation à Séville, il a été invité deux fois à Madrid en qualité de chef de lidia, ainsi qu'à Barcelone, et a débuté dans deux arènes extrêmement importantes, Pampelune et surtout Bilbao, où après avoir toréé la corrida de Victorino Martín, il a effectué un remplacement dans la corrida de Miura.
Dans toutes ces courses, ses qualités de sérieux et de professionnalisme ont été reconnues par le public et la critique espagnols, mais il n'a pas remporté de succès aussi retentissants que ceux que lui ont valu les corridas, d'ailleurs excellentes, de Victorino Martín à Aire sur Adour (deux oreilles) et Dax (trois oreilles). Avec 25 corridas toréées et 16 oreilles coupées, Meca a réalisé la saison la plus complète et la plus solide de sa carrière, ce qui lui vaudra certainement, avec l'appui de la maison Chopera, beaucoup d'engagements l'an prochain.
Mais un autre garçon devra être suivi avec attention : c'est Sébastien Castella, qui a réalisé cette saison de vrais progrès, et qui, sur cette lancée, pourrait constituer l'espoir de la tauromachie française de demain, dans un contexte où la relève est malheureusement loin d'être assurée, compte tenu de la déception suscitée notamment par les six courses de Julien Lescarret.
En fait, plus encore que les exploits des toreros, ce que l'on retiendra peut-être le plus de cette saison en France, ce sont les tentatives réussies d'organiser des corridas dans des régions certes reconnues de "tradition" au plan légal, mais dans lesquelles cette tradition n'était plus pratiquée. Cela a permis la tenue de deux novilladas, hélas davantage médiatisées à cause des manifestations organisées à l'extérieur par les anti taurins, qui se sont vus ainsi offrir une tribune dont ils n'auraient pas rêvé, qu'à cause de ce qui se passait à l'intérieur des arènes, qui n'avait peutêtre pas d'autre intérêt que celui d'exister : à Carcassonne le 1er septembre et à Rieumes le 22
Cela devrait déboucher surtout sur l'organisation d'une feria, à Fenouillet, aux portes de Toulouse à la fin du mois de juin prochain. Signalons aussi la novillada de Plaisance du Gers, le 14 juillet.
L'afición française s'enrichit donc de nouvelles arènes : ne boudons pas notre plaisir, et souhaitons que ce soit pour elle l'occasion de se renouveler, de sortir des formules toutes faites, de répéter à satiété, comme c'est encore trop souvent le cas, les mêmes cartels d'une année sur l'autre, d'une place à l'autre, de se montrer curieuse, de promouvoir de nouveaux talents, pourquoi pas français : il n'y a pas beaucoup de toreros français, mais tous sont loin de toréer. Quant aux élevages français, qui sont finalement notre valeur la plus sûre, trop d'arènes encore les ignorent délibérément. Coup de chapeau ici à Arles, qui dans la même feria de Pâques a su afficher deux corridas de Tardieu et de Yonnet, ainsi qu'une novillada de Blohorn, toutes trois passionnantes.
Parmi ceux là , une mention spéciale s'impose pour Paco Tolosa, disparu le 14 juillet à l'âge de 96 ans. "La Querencia" de Paris a déjà rendu hommage à cet aficionado de légende, qui était un de ses parrains. Paco Tolosa avait vu sa première corrida à Toulouse le 14 juillet 1921, et la dernière à Mont de Marsan en 1989, pour le centenaire du Plumaçon. Entre temps, il a été l'ami de tout ce qu'il y a de taurin sur la planète, admirateur de Belmonte et du Juli, qu'il aura vus tous deux, le dernier à la télévision. Avec lui, l'aficion française a perdu un phare, une référence indiscutable, à qui, sans toujours le savoir, elle doit beaucoup.
Une autre personnalité doit être évoquée, quoique son action se situe dans un registre différent : c'est Manolo Chopera, décédé à l'âge de 75 ans. Il a indiscutablement été le plus grand entrepreneur taurin du siècle, et la liste des arènes qu'il a dirigées, à un moment ou à un autre, seul ou avec d'autres (de Madrid et Séville à Mexico et Caracas ; en France, la plupart des arènes du Sud Ouest) est aussi impressionnante que celle des toreros dont il a dirigé la carrière, du Cordobés, d'Antoñete et de Paco Camino à Curro Romero, Ninõ de la Capea, Ortega Cano, Manzanares et Pablo Hermoso de Mendoza. Bâtisseur (on lui doit, quoi qu'on pense par ailleurs du résultat sur le plan architectural, la reconstruction de Saint Sébastien), ganadero, il a exercé une influence considérable sur le "mundillo", ce qui lui a valu beaucoup de critiques, et même d'ennemis. Mais il était en quelque sorte incontournable.
Saluons aussi brièvement les disparitions de José Gan, à qui "Paris Afición" a aussi rendu hommage, et qui a constitué patiemment une filmothèque essentielle pour l'histoire de la tauromachie, du comte de la Maza, ganadero bien connu des plazas toristas, et des matadors Reina Rincon, disparu dans des circonstances mystérieuses à Lima, et Manuel Cascales, qui présentait la particularité d'avoir pris deux alternatives au cours de sa carrière, en 1954 et 1964.
Donnons aussi un coup de chapeau à ceux qui se sont retirés des ruedos : le mexicain Eloy Cavazos, recordman des ruedos, qui aura participé dans sa carrière à 1753 corridas, coupant 1615 oreilles, 648 queues et 9 pattes, obtenant 35 indultos et conférant 55 alternatives, toréant 127 fois en 1967, dont 4 dans la seule journée du 12 octobre ; mais aussi Curro Vázquez, qui manquera ; El Cordobés et José Tomás, qui manqueront aussi si, ce dont on ne saurait jurer, leurs retraits sont définitifs, ni même d'ailleurs officiels ; les jeunes Manuel Amador et Pedro Lázaro, faute de contrats ; et notre grand Michel Bouix national, qui s'est retiré au terme de 30 ans d'une carrière qui aura fait de la pique un art français.
Saluons aussi un retraité exceptionnel : Cagancho, le célèbre cheval de Pablo Hermoso de Mendoza, qui aura permis à son maître de triompher partout dans le monde, et de faire du toreo à cheval, dont il est la vedette incontestée, une spécialité authentiquement populaire, et une composante désormais essentielle de toute temporada qui se respecte.
pour El Cordobés, déjà cité, qui a obtenu, enfin seraton tenté de dire, le titre de "calife", qu'il est le cinquième torero de Cordoue à porter dans toute l'histoire du toreo ;
pour deux toreros, qui suivent des carrières atypiques, qui pour cette raison n'ont jamais figuré dans des palmarès comme celui que nous avons dressé plus haut, mais qui nous auront fait passer, cette saison, de biens beaux moments : Javier Conde et le vétéran Frascuelo ; et enfin pour les organisateurs français qui, cette année, ont pris d'intéressantes initiatives pour remettre à sa place légitime la corrida concours : Vic, à Pentecôte, Arles et Dax en septembre, et Soustons, qui le 9 août a même organisé une novillada concours, initiative très intéressante malgré les difficultés de l'exercice, et qui aurait mérité un plus large écho.
Et en premier lieu, pour stigmatiser une fois encore cette manie des indultos qui, cette année, a pris en Espagne l'allure d'une inquiétante épidémie : pas moins de quatorze grâces ont été, en effet, prononcées cette année dans la Péninsule, auxquelles il faut ajouter, en France, la grâce d'un novillo de Yonnet à Lunel, le 21 juillet.
Les records ne se sont pas arrêtés là : pour la première fois, deux indultos ont été prononcés dans la même journée, le 28 août, celle d'un toro d'Alcurrucen à San Sebastián de los Reyes, des mains d'Antonio Ferrera, et celle d'un toro de Sánchez Arjona à Linares, des mains d'El Juli. Un autre record semble avoir été établi par Ferrera, celui du nombre d'indultos obtenus dans la même saison, avec trois (toro de Sorando à Tarragone le 1er juillet, le toro d'Alcurrucen susévoqué, et un toro de Zalduendo à Zafra le 6 octobre), juste devant El Fandi, avec deux (toro de Daniel Ruiz à Grenade le 31 mai et toro de Peralta à La Línea de la Concepción le 19 juillet).
On voudrait être sûr de pouvoir en rire ; il est plus probable qu'il faille le déplorer. Aucun des critères normalement requis pour un indulto ne semble en effet avoir été respecté : sur les quatorze, aucun n'a été prononcé dans une arène de première catégorie, réglementairement seule à pouvoir le faire. Inutile de dire que le comportement au cheval de ces quatorze toros n'est pas entré en ligne de compte, seul le toro de Peralta gracié à La Línea ayant pris trois piques et celui de Nazario Ibáñez gracié le 27 avril à Yecla en ayant pris deux, les douze autres se contentant de la monopique.
A Olivenza, le 14 septembre, on a été à deux doigts de gracier un novillo de Bernardino Piriz, ce qu'on n'a donc pas hésité à faire à Lunel ; et à Almeria le 27 août, le président a dû quitter le palco sous protection policière pour avoir refusé la grâce d'un toro de Zalduendo, qui était réclamée par le public, alors que ce toro n'avait pas été piqué et était tombé à plusieurs reprises. Bref, c'est absolument n'importe quoi, et pour le coup, cela justifierait peut-être la création à Mérida, au mois de mai dernier, du premier cours pour présidents de corridas !
Au chapitre des aventures mitragiques miburlesques, on est également tenté de raconter l'histoire mouvementée d'un lot de toros de Victoriano del Río, normalement prévu pour la feria de Séville et refusé par les vétérinaires de la Maestranza pour manque de trapío. Qu'importe, ces toros sont immédiatement programmés pour la feria de Málaga. Nouveau refus des vétérinaires, sans doute soucieux de ne pas se montrer moins rigoureux que leurs confrères sévillans. Don Victoriano n'eut d'autre solution que de dissocier le lot, et de mêler les six malheureux recalés à d'autres produits de la maison ou de les utiliser comme sobreros. Résultat : El Juli coupa une oreille à l'un d'entre eux le 28 août à Linares, et Rivera Ordóñez deux à un autre dans les mêmes arènes le 11 septembre.
Le même jour, Enrique Ponce coupait deux oreilles à un troisième à Valladolid, et Luguillano une au quatrième, tandis que le cinquième se cassait une corne contre le burladero et devait être remplacé ; enfin le sixième, qui portait d'ailleurs le second fer de la maison, Toros de Cortés, c'est celui auquel El Juli a coupé la queue le 4 octobre à Vista Alegre, et dont la grâce a d'ailleurs aussi été demandée. Huit oreilles et une queue au total pour un lot refusé deux fois pour manque de trapio, où est l'erreur ? On a beau savoir que ce genre de mésaventure est vieux comme la tauromachie, on ne peut pas s'empêcher de penser qu'il y a un manque de sérieux quelque part.
Si l'on rapproche cela des régressions de l'esprit taurin qui se manifestent un peu partout (malgré les percées susmentionnées du Sud Ouest... ou de Kansas City, où notre compatriote Michel Lagravère organise des corridas sans mise à mort !), il y a vraiment de quoi être préoccupé pour l'avenir de la fiesta. Derniers exemples de ces régressions : à Bogota, désormais, il faut avoir 18 ans pour assister aux corridas, c'est à dire plus que l'âge de certains toreros. Pis, en Espagne, Radio Nacional de España a décidé de repousser en toute fin de soirée sa célèbre émission taurine du dimanche soir, "Clarín", pour pouvoir donner les résultats des matches de football !
En bonne place aussi dans ce bêtisier, le comportement inacceptable du jeune Manzanares fils, le 1er avril (!) à Mugron, comportement qui lui a valu une consigne de boycott dans le Sud Ouest, fort heureusement suivie jusqu'à présent ; la condamnation du matador Ricardo Ortiz à trois ans et demi de prison pour trafic de drogue ; et le cartel de plus mauvais goût de l'année, celui de la corrida de Pozoblanco le 26 septembre, jour du dixhuitième anniversaire de la blessure mortelle de Paquirri, dans ces mêmes arènes : Rivera Ordóñez, fils du défunt, face aux toros du même élevage, Sayalero y Bandrés que celui qui a tué son père, quelle étrange conception de la commémoration...
Javier San José, tout d'abord, est sans doute le premier torero de l'histoire à avoir toréé avec... un pied dans le plâtre. C'était le 1er septembre à San Sebastián de los Reyes ; et comme il a remporté un franc succès, il a fait sa vuelta en s'appuyant sur des cannes anglaises.
Quant à José Miguel Callejón, il a battu le 17 août, sinon le record du nombre de corridas toréées dans la même journée, qui semble appartenir à Eloy Cavazos comme on l'a vu plus haut, du moins le record du nombre de trophées : il a en effet coupé le matin à Camuñas (province de Tolède) 4 oreilles et une queue, l'après midi à Camareña 6 oreilles et deux queues et le soir à Leganés 3 oreilles, soit un total qui paraît difficilement égalable de 13 oreilles et trois queues !
Mais que l'on se rassure, l'année prochaine, l'on fera sans doute encore plus fort. L'on nous annonce le retour de Jesulín, grand amateur d'exploits en tous genres, de Rafael de Paula, qui ne manquera pas de faire souffler l'esprit gitan dans les ruedos, de César Rincón peut-être, et avec lui du grand souffle de l'Amérique du Sud. C'est encore la promesse de beaucoup de records battus, de moments d'excitation et de déception, bref de passion...
Paris, le 14 décembre 2002 - Ph. B. - Photographies : F. D. M.